Ce que disent les peintres
Claude Briand-Picard – Bernard Cousinier - Dominique De Beir – Monique Frydman - Speedy Graphito – Jean Le Gac - Florindo Nanni – Aurore Pallet – Paul Rebeyrolle – Florence Reymond.
Propos recueillis par Élisabeth Amblard, Hervé Bacquet, Agnès Foiret, Olivier Long, Sandrine Morsillo, Antoine Perrot, Juan Porrero et Diane Watteau.
Introduction
Au moment de titrer ce recueil d’entretiens menés dans le cadre du programme de recherche « Pratiques picturales » [1], nous avons hésité. Plusieurs intitulés nous semblaient résonner avec ces paroles de peintres, qui, de toute évidence, proposent des chemins différenciés au plus proche de leur pratique. Et nous souhaitions restituer dans cet intitulé ce qui leur appartient en propre autant que ce qui les réunit : la pratique de la peinture et la parole qui donne à partager cette pratique. Aussi, avons-nous tâtonné entre différents intitulés :
− Dire la peinture
− Peindre, les mots en partage
− La peinture prise au mot
− L’autre côté de la peinture : les mots du peindre…
Prendre les peintres aux mots, c’était, dans des face-à-face tenter d’écarter le caractère circonstanciel et le cadre convenu qui enserre la production proliférante des textes qui poursuivent des buts mercantiles ou de communication. Le dit des peintres, nous en sommes convaincus, énonce un savoir, ou des formes de savoir, que ne détiennent pas les esthéticiens ou les historiens d’art. Nous nous sommes alors souvenus des conseils de Gilles Deleuze qui écrivait : « On n’écoute pas assez ce que disent les peintres ». [2]
« Ce que disent les peintres », c’est d’abord écouter les mots, non pas les mots consacrés de la peinture, mais ceux – personnels - de l’engagement en peinture. Comment les peintres jonglent-ils avec le vocabulaire de la peinture ? Comment inventent-ils leurs propres mots ? Comment explorent-ils une parole au plus proche de la création ou même comment se parlent-ils à eux-mêmes quand ils peignent ? Élaborent-ils un récit pour suspendre hors de la peinture ce qui ne lui appartient pas, ou, au contraire, pour aimanter le regard ? Parler, pour les peintres, est-ce une pratique qui se superpose ou s’articule à l’élaboration picturale ?
Tantôt spontanés, tantôt entretenant un rapport réflexif sur l’œuvre en cours, ou encore ponctuant de silences une parole rare, ces entretiens ouvrent la mémoire du faire et tentent de saisir, si ce n’est d’analyser, l’acte pictural en prise avec les mots. Des mots qui sont issus de celui ou de celle qui fait la peinture et qui réinvente à chaque fois comment celle-ci se conçoit et se fabrique. Chaque entretien révèle ainsi une sorte de poïétique, c’est-à-dire une étude des conduites créatrices qui élaborent la peinture et instaurent le peintre à travers ses mots : le choix d’un vocabulaire et d’expressions qui surgissent de la pratique même et qui suggèrent les rapports qui unissent, au cours de son travail, l’artiste à son œuvre.
Derrière « ce que disent - ou ne disent pas - les peintres », c’est ensuite la question de ce qu’ils donnent à voir et pour eux, plus précisément, de ce qu’il y a à faire. Ou comment la peinture, face à la circulation séduisante d’une multitude d’images et à l’inflation des discours, tente de ne pas être dépossédée de ce qui la donne pour contemporaine. S’inscrivant, qu’elle le veuille ou non dans un temps social et politique, comment interroge-t-elle sa volontaire - et nécessaire – présence ; ou encore comment renonce-t-elle à se donner des raisons, préférant le retrait, la suspension, le pas de côté ? Dans l’un ou l’autre cas, elle dessine non pas une série d’oppositions mais une cartographie des possibles. Possibles, ici encore, qui dressent la peinture, le tableau comme objet et comme opérateur de sens dans le monde contemporain.
« Ce que disent les peintres » est ici un premier recueil d’entretiens qui permet de faire un point sur le vocabulaire lié à la peinture ainsi que sur la façon d’explorer et d’expliciter des démarches nécessairement singulières.
Notons que ces artistes sont issus d’une diversité de pratiques et de générations : Claude Briand-Picard, Bernard Cousinier, Dominique de Beir, Monique Frydman, Speedy Graphito, Jean Le Gac, Florindo Nanni, Aurore Pallet, Paul Rebeyrolle, Florence Reymond. Ils ont chacun une place dans le paysage français de la peinture sans pour autant être sous la lumière des projecteurs. Quant à ceux qui posent les questions, remarquons qu’ils le font de pair à pair, de plasticiens à plasticiens, et non en critiques d’art. C’est donc bien, au-delà des mots, la pratique qui détermine ces échanges que nous désirons partager.
Un index des mots permet ici de faire une analyse comparatiste de leurs usages et d’articuler le sens des différentes pratiques. On trouvera ainsi des mots tels que : apparition, badigeon, battement, dépeindre, érosion, feuilletage, fusion, médium, narration, passeplan, recouvrement, représentation, synchronicité, etc. L’itinéraire est balisé par cette série de mots prélevés comme autant de phares qui, s’ils n’obéissent à aucune règle, révéleront après-coup de nouvelles scènes picturales. Au lecteur de naviguer à vue, entre une pratique et une autre, de tenter une traversée parmi d’autres possibles.
Sandrine Morsillo et Antoine Perrot
Table des matières
Laissez parler la peinture, Claude Briand-Picard, propos recueillis par Antoine Perrot
"Je pars de l’endroit où le silence se formule", Bernard Cousinier, propos recueillis par Agnès Foiret
La pratique des mots / les mots en pratique, Dominique de Beir, propos recueillis par Elisabeth Amblard
"Ce qui est caché apparaît grâce à l’écoute de ma main", Monique Frydman, propos recueillis par Agnès Foiret
« Il faut être dans l’instant avec quelques heures d’avance », Speedy Graphito, propos recueillis par Diane Watteau
Peinture photo-texte et picto-récit, Jean Le Gac, propos recueillis par Sandrine Morsillo
Dialogue plastique et langage poétique, Florindo Nanni, propos recueillis par Olivier Long
Peintures d’apparition, Aurore Pallet, propos recueillis par Sandrine Morsillo
Extension du domaine de la vie Paul Rebeyrolle, lecture d’entretiens par Juan Porrero
"Comprendre sans que ce soit dit", Florence Reymond, propos recueillis par Hervé Bacquet
Index.
Biographies des artistes.
Biographies des auteurs.
Notes
[1] Programme de recherche de l’Institut Acte, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne. www.pratiques-picturales.net
[2] Gilles Deleuze, Francis Bacon, logique de la sensation, Paris, Éditions de la Différence, 1981, p. 65.
Pour citer cet article
« Ce que disent les peintres ». Pratiques picturales, 9 février 2019.