Peindre et (dé)peindre le paysage

Appel à contributions - Ce que disent les peintres, vol. 4

Aujourd’hui on constate donc un renouveau de la peinture de paysage. Des expositions se multiplient, preuves que ce genre que l’on a souvent qualifié de « désuet » a su saisir de nouveaux enjeux. Est-ce l’éveil de la « conscience du paysage » qui ouvre à un nouveau regard et à d’autres postures artistiques ?

Au-delà donc de l’hypothèse que peindre le paysage serait peindre la peinture elle-même, questionnons les peintres qui s’adonnent au paysage pour comprendre comment les pratiques peuvent s’engager dans une « Politique du paysage ».

Dans un premier temps, ne faut-il pas rappeler que le paysage a d’abord été pictural avant d’être réel ?

En effet, paysage, comme morceau de pays, est le nom donné à cette nature idéalisée que les peintres représentaient au XVIéme siècle. N’est-ce pas ce qui explique notre attachement aux paysages représentés tels ces vues à travers la fenêtre et la dénomination du « format paysage », pour les toiles dont le format a une largeur supérieure à la hauteur ? L’on pense bien sûr à La condition humaine (1933) de René Magritte qui représente un tableau devant une fenêtre sur lequel est peint le paysage que l’on voit à la fenêtre. On pourrait aussi renvoyer à une installation de Claude Rutault présentée au château d’Oiron, devant une fenêtre ouverte sur le paysage, intitulée La peinture à plat (1993) ainsi décrite : « Une toile, tendue sur châssis, laissée brute, non préparée, posée sur deux tréteaux, est placée devant une fenêtre, à hauteur de l’appui. Elle se contente de porter le regard vers le paysage. (…) »

Il semble qu’aujourd’hui l’art, la peinture particulièrement, s’ouvre de nouveau sur le paysage [1].

À l’heure de la catastrophe écologique annoncée face à des environnements pollués, délabrés et désolés, l’intérêt pour le paysage redouble et la quête de panoramas et de « beaux paysages » semble plus que jamais d’actualité nous plaçant devant des représentations de paysages qui semblent immuables. Si paysages rêvés et paysages réels semblent toujours constitués d’une terre ou mer et d’une ligne d’horizon, la pratique picturale pourtant se redéploie autrement. Car c’est bien à travers l’art du cadrage, de la composition des éléments naturels - terre, air, eau et parfois feu – et du jeu des couleurs et des gestes que le paysage se renouvelle.

Les peintres de paysages d’aujourd’hui ont derrière eux une longue tradition. Ils le savent, le paysage n’est pas seulement une image ce sont aussi des sensations, des formes, des lumières, des matières. De tout temps, depuis l’invention du paysage à la Renaissance, il n’a cessé d’accompagner la recherche en peinture, car la notion de paysage et sa réalité perçue sont bien une invention. Comme le rappelle d’ailleurs la Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage, « le paysage est une partie de territoire telle que perçue par les populations » [2]. Et si la peinture accompagne, donne à voir ou même invente les transformations de cette perception du paysage, s’interroger sur ses représentations contemporaines doit permettre de saisir les interrelations que nous entretenons avec les facteurs naturels et humains qui le modifient sans cesse [3].

Retournons-nous vers les différents traitements du paysage dans l’art, depuis le travail sur la lumière dans la nature des impressionnistes en passant par une forme indéfiniment reconstruite qui pose l’éternité du paysage de la montagne Sainte Victoire de Paul Cézanne à la matière terreuse qui ressort dans les paysages de Paul Rebeyrolle pour se retourner sur l’abstraction et la planéité d’un paysage de Nicolas de Staël, ou les masses sombres et heurtées d’un Per Kirkeby, car la représentation du paysage ne signifie pas un retour vers sa figuration. Il s’agit plutôt de la reconstruction de la perception du paysage dans le réel pour s’immerger dans le paysage et dans la peinture tout à la fois, comme nous y invitent les toiles de Joan Mitchell.

Ainsi, pourrait-on proposer différentes postures artistiques par rapport au paysage :

  • Regarder le paysage encadré dans la fenêtre ou se tenir devant le paysage tel que nous l’intime l’œuvre de Claude Rutault décrite plus avant. Ici, l’on ne peut pas ne pas évoquer encore Paul Cézanne qui chaque jour plantait son chevalet devant la montagne Sainte-Victoire pour comprendre et peindre l’éternité d’un paysage associant des formes ouvertes à la recherche cubiste. Mais on peut y voir aussi la venue d’un monde qui se clôt, comme dans les peintures de Jérémy Liron, là où le bonheur inquiet des périphéries isole les pavillons dans une nature recomposée et révèle une absence. Tandis que les paysages peints de Raphaëlle Paupert-Borne sont des cadres de vie à partir desquels elle imagine des scènes qui seront associées à des films.
  • Être dans le paysage, le voir en marchant, le ressentir physiquement, au-delà du Land-art, tel Pierre Tal Coat qui s’y promenait chaque jour afin de pouvoir traduire ensuite le ressenti physique à travers l’expérience de la matière, « l’espace d’un paysage-milieu » [4]. Ainsi le peintre est-il pris dans sa toile comme il a été dans le paysage et la peinture est comme la terre, travaillée, retournée, labourée. On retrouve d’ailleurs la même sensation chez Paul Rebeyrolle ou dans le mariage des strates minérales et végétales de la peinture de Per Kirkeby.
  • Retrouver les sensations perçues dans le paysage et abstraire le paysage . Simplifier les formes du paysage par des aplats de couleurs comme le fait Nicolas de Staël pour défaire la représentation du paysage et réinventer des formes liées à matière. Alors que c’est avec un pinceau géant, le corps en action que Fabienne Verdier reprend la mythique montagne Sainte Victoire en 2018 pour donner à voir un espace abstrait sur une toile immense.
  • Rêver le paysage ou se remémorer des paysages . Comme le dit Gaston Bachelard, « avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique » [5], ainsi l’on comprend que dans la représentation du réel paysagé l’observation se nourrit de la mémoire et du rêve.

D’ailleurs, Lise Roussel recouvre de peinture du papier par de vagues formes que nous pouvons interpréter comme des bords de mer, architectures, montagnes, elle les intitule Panorama. Tandis qu’Anne-Laure Sacriste peint des paysages d’où se dégage une atmosphère sombre dans lesquels des forêts s’enchevêtrent de branchages qui s’écoulent et des marais aux eaux noires font émerger des paysages oniriques. Chez Marc Desgrandchamps la représentation du paysage se joue entre observation, remémoration et rêve. Tout en transparence et recouvrement, les traitements picturaux, l’un contre l’autre font cohabiter perceptions du réel et images artificielles.

Le peintre paysagiste

Faisons un retour sur l’image du peintre de paysage, ce peintre sur le motif. Dans ses œuvres, Jean Le Gac pose en peintre de paysage. Il est représenté, photographié, peint ou dessiné en peintre tout à son œuvre dans la nature, tandis qu’autour de lui des bandits rôdent. Faut-il y voir la métaphore d’un artiste qui poursuit son œuvre au milieu du paysage sans se soucier de ce qui peut bien arriver à la peinture ? Ou alors la représentation d’un paysage immuable à travers l’évolution de la peinture elle-même ?

Aujourd’hui on constate donc un renouveau de la peinture de paysage. Des expositions se multiplient, preuves que ce genre que l’on a souvent qualifié de « désuet » a su saisir de nouveaux enjeux. Est-ce l’éveil de la « conscience du paysage » qui ouvre à un nouveau regard et à d’autres postures artistiques ?

Au-delà donc de l’hypothèse que peindre le paysage serait peindre la peinture elle-même, questionnons les peintres qui s’adonnent au paysage pour comprendre comment les pratiques peuvent s’engager dans une « Politique du paysage » [6].

Contribuer

1. Accord préalable.
Les propositions d’entretiens doivent être soumises au comité scientifique pour être validées. Merci d’adresser une courte présentation de l’artiste et des lignes de force de l’entretien envisagé aux adresses suivantes :

Sandrine Morsillo : Sandrine.Morsillo[at]univ-paris1.fr
Antoine Perrot : Antoine.Perrot[at]univ-paris1.fr

Vos propositions doivent nous parvenir avant le 15 septembre 2022

2. Contributions

Les textes proposés auront la forme soit d’un entretien avec l’artiste, soit d’un texte écrit à partir d’entretiens. Ils doivent privilégier la parole de l’artiste. Il ne s’agit pas d’un texte décrivant le parcours de l’artiste, ni d’un texte critique sur son œuvre.

Les auteurs sont invités à proposer des textes d’environ 20 000 – 25 000 signes, espaces compris.

Les contributions pourront contenir jusqu’à 5 images en résolution 300 dpi. Celles-ci sont à envoyer séparément avec, en mention, leur légende (titre, date, techniques...). Elles seront libres de droits.

La première page doit contenir :

  • - le titre de l’article, le nom du ou des auteurs, leur(s) affiliation(s), leur courriel,
  • - une liste de 6 mots-clefs caractérisant le contenu de l’article,
  • - un avant-propos d’environ 6-10 lignes chapeautant l’article.
    Seront jointes également :

Une notice biographique de l’artiste (5-6 lignes maximum), dont dernières expositions, site internet de l’artiste

Une notice bio-bibliographique (5-6 lignes maximum) ; elle comprendra : nom, prénom de l’auteur, statut professionnel et/ou titres, rattachement institutionnel éventuel, thèmes de recherche, indication des dernières publications, adresse électronique.

Les textes définitifs devront nous parvenir avant le 20 décembre 2022.

La collection « Pratiques picturales »

Notes

[1Exposition, Paysages entre Représentation et Imaginaire, Musée d’art contemporain, commissariat Camille Bertrand-Hardy, Montélimar, 2021.

[2Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage, chapître 1 - Dispositions générales, Article 1 – Définitions, p. 2, 2000. https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=treaty-detail&treatynum=176, consulté le 24 mai 2022

[3Ibid.

[4Henri Maldiney, L’art de Tal Coat, Paris, Éditions du Cerf, 2013.

[5Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, (1942), Paris, José Corti, Le livre de Poche, 1993, p. 6.

[6Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage telle qu’amendée par le Protocole de 2016.

Pour citer cet article

« Peindre et (dé)peindre le paysage Appel à contributions - Ce que disent les peintres, vol. 4 ». Pratiques picturales, 3 juin 2022.

https://pratiques-picturales.net/article70.html