Claire Labastie
Ses articles
Strates temporelles dans les stratégies abstraites de Vera Molnár
Les œuvres de Vera Molnár répondent à des programmes déterminés à l’avance, souvent des algorithmes livrés à un ordinateur. Dans leur déroulement temporel, les suites générées par ces programmes se déploient en micro-récits abstraits de lignes, de surfaces ou de figures géométriques. Dans un deuxième temps de lecture, l’œil s’étonne de repérer une constante dans l’évidence mouvante des métamorphoses successives.
La traduction visuelle du déploiement mental de leur fabrication, l’émergence de micro-événements qui rompent avec une continuité ou un ordre instaurés à l’avance créent des strates temporelles dont le dépôt encré ou peint invite à décrypter les logiques. Les « stratégies créatives » de Vera Molnár semblent s’effarer de leur rigueur et se bousculent d’accidents, de désordres, eux aussi conçus à l’avance. Elles se soutiennent ou s’entourent de souvenirs personnels, de mythes individuels, que ses commentateurs mettent en avant et qui ajoutent leur saveur à l’appréciation des œuvres. Au sein des grands courants héritiers de l’abstraction géométrique, Vera Molnár engage une forme de narration qui se soutient d’un moteur logique et ludique.
Il s’agira ici de restituer au regard sur les œuvres de Vera Molnár l’épaisseur temporelle qui les anime, stratifiée en régimes différents qui s’entremêlent : mathématique mais aussi subjectif et historico-idéologique.
La peinture : train de retard ou actualité en train ?
Depuis les années 70, au cours desquelles se sont confortées les nouvelles catégories artistiques de la décennie précédente (entre autres les performances, l’art utilisant la vidéo et l’art conceptuel), des artistes ont continué à peindre bien que, fortement aidés par les critiques d’art de l’époque, ils aient acquis une conscience aiguë de l’aspect « dépassé » de leur technique, déjà ancienne et sans actualité dans un monde où l’accélération prévaut en tous les domaines.
En effet, parmi les peintres qui ont émergé dans les années suivantes, il en est quelques-uns qui ont retourné la valeur négative du handicap supposé de cette technique, pour faire de cet aspect « dépassé » un moteur de création. Les œuvres picturales de François Rouan, Carole Benzaken et Angel Vergara, nourriront ici cette réflexion sur la notion de retard devenant un composant poïétique ou réceptif.
À propos
Claire Labastie est enseignante-agrégée en arts plastiques au Lycée Michelet de Vanves, vacataire à L’École des Arts de la Sorbonne, Université Paris1, et docteure en arts plastiques (titre de la thèse : Retards à l’œuvre : précipités) en 2011.
Derniers articles publiés :
« Version-inversions, localisations et dé-localisations », in Vertu des contraires, art, artiste, société, publication de l’Université de Provence, 2018.
« Actualités du retard, retards en acte » in Contre Temps : actes du colloque performatif Contre Temps, publication de la Sorbonne, 2017.
« Art, retard, hasard - De la sérendipité dans les rythmes de création », in Temporalités, revue de sciences sociales et humaines, n°24, 2016.
« L’art de l’erreur dans les Pages de Dictionnaire de Gilles Barbier », in Essais, Erreur et Création, École doctorale Montaigne Humanités, n°8, 2015