Peindre n’est (- ce) pas teindre ?

Musée de la Toile de Jouy, 2 février - 29 juillet 2016

Vernissage le samedi 12 mars à partir de 16h.
Musée de la Toile de Jouy, 54, rue Charles de Gaulle, 78350 Jouy-en-Josas

Cécile Bart, Claire Chesnier, Richard Conte, Noël Dolla, Agnès Foiret, Marie-Hélène Guelton, Jean Le Gac, Miguel-Angel Molina, Sandrine Morsillo, Antoine Perrot, Pascal Pinaud, Christophe Viart.
Commissariat : Sandrine Morsillo et Esclarmonde Monteil.

C’est à Jean Dubuffet que nous devons en partie ce titre, extrait de Prospectus aux amateurs de tout genre [1] : « peindre n’est pas teindre ». Si l’on se réfère précisément aux définitions des termes « peindre » et « teindre » il faut alors différencier les actions qui s’y rapportent. Peindre serait travailler la matière picturale, manier des outils pour étaler la pâte sur un support tandis que teindre serait changer la couleur d’un support par trempage, imprégnation, diffusion. Mais il suffit qu’une négation soit posée pour qu’aussitôt résonne son contraire. Alors vraiment, peindre n’est-ce pas teindre ? L’histoire de la peinture prouve cependant que les deux opérations peuvent fusionner pour relancer son questionnement.

Ici, les œuvres exposées conjuguent les opérations « peindre et teindre », les retournent, en jouent pour mieux les activer dans une alternance féconde.
Ainsi, la teinture sur tissu de Marie-Hélène Guelton a-t-elle à voir avec la peinture. En effet, elle ouvre à des jeux de matières entre transparence et opacité et révèle le graphisme à travers des effets de plissés. En écho, à ce que dit Jean Le Gac de ses œuvres : « peintures et tissus échangent leurs propriétés [en se muant] en objets de caresse ». Ainsi, la surface de certains tableaux, entre teinture et peinture, se joue-t-elle de notre perception en ouvrant un espace traversant où transparence, opacité et tactilité rivalisent.

Ici, les médiums se donnent à voir dans leurs matérialités. L’encre de Claire Chesnier s’étale dans une intrication de transparences dans l’épaisseur du papier, entre recouvrement et délaiement, conjoignant en écho l’action du peindre et du teindre. Miguel-Angel Molina plaque la peinture au sol par une empreinte, nous interrogeant sur sa façon de rendre autonome la couleur qui est alors en prise directe avec l’espace réel, non loin de celle d’Agnès Foiret. Elle, préfère l’absorption au recouvrement pour montrer que face et dos se confondent, déroulant ,dans l’espace, de grands supports-papiers imprégnés d’huile comme une teinture olfactive dénudée de tout pigment.

À l’opposé, regardons la monochromie. N’est-ce pas la teinture que suggère le monochrome tant la couleur par l’unicité de sa présence semble gagner le cœur du support ? Sandrine Morsillo, en recouvrant uniformément la toile et en enchâssant des torchons « grand teint » ne donne-t-elle pas à voir une couleur qui pénètre en profondeur ? Une couleur à cœur. Tandis que lorsque Christophe Viart convoque des monochromes célèbres à travers leur reproduction sous forme de cartes postales, ne fait-il pas valoir la seule couleur détachée de toute implication physique ?

Par ailleurs, n’y a-t-il pas une perspective d’expansion hors du tableau comme dans les Peintures/écrans de Cécile Bart ? La transformation de la peinture, qui de surface opaque de peau devient filtre de couleur, est installée dans l’environnement comme une machine à modifier le paysage. La toile colorée cadrée transforme le devant en dedans, abolit l’espace pour nous plonger dans un lieu de la couleur et l’absence de limite. Gamme est composée d’une vingtaine d’échantillons (utilisés pour ses peintures/écrans) étalés sur un grand support. Ici, les notions de tableau ou d’écran y sont absentes au profit de celles de couleurs et de peinture. Les échantillons sont des carrés de Tergal « Plein Jour » peints, de 90 x 90 cm.

Pour Noël Dolla, le geste de peindre se transforme en geste de teindre dans le manifeste d’un flottement de toiles suspendues à des cordes dans l’espace. Il montre ici des teintures sur des serpillères accrochées à un étendoir.

Dès lors que la peinture/teinture peut être accrochée dans l’espace, il y a abolition des frontières du tableau ce qui renvoie à l’ouverture de l’acte de peindre vers une « peinture élargie ». C’est-à-dire un passage entre le tableau peint et des matériaux colorés assemblés pour parvenir à un dispositif qui réagit dans l’espace. C’est ce que démontre Antoine Perrot en utilisant les objets comme couleurs pour nous rappeler que « les couleurs habillent nos habitudes [et] nous enveloppent », ce qui provoque un changement de paradigme pictural. Pascal Pinaud présente ici des tableaux peints sur de la Toile de Jouy, rehaussée de trois pièces comme des camés, ovales, en Toile de Jouy également mais d’une tonalité différente. Ces camées sont des superpositions et non des incrustations du même motif imprimé à l’infini par l’industrie textile, comme une tapisserie qui se prolonge. Ce sont donc des tableaux dans chaque tableau. Ni tout à fait peinture, ni vraiment teinture, ne s’agit-il pas alors, comme le dit l’artiste « de faire de la peinture sans peinture » ? De peindre avec des matériaux différents car finalement, comme il le précise, « seul compte le rapport humain ».

Tournons-nous enfin vers le vivant végétal des pommes et aubergines de Richard Conte qui ne sont ni peintes, ni teintes puisque l’artiste utilise le plus simple appareil de l’histoire humaine pour les colorer : l’empreinte du soleil.

À propos de la collection et des expositions CRÉATIONS & PATRIMOINES

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L’objectif de cette collection est de présenter des expositions qui ont lieu, c’est-à-dire qui se déploient dans des lieux particuliers. Des œuvres sont installées dans des espaces a priori non destinés à présenter celles-ci ou des œuvres sont créées ou rassemblées par rapport aux caractéristiques de ces lieux (architecture ou environnement) ou à des collections. Le lieu du patrimoine devient site de création et de présentation tandis que l’œuvre ouvre à un regard contemporain sur des monuments ou objets du passé. Dans tous les cas, que l’œuvre soit conçue ou non en résonance au lieu ou à sa collection, il s’agit de mettre en lumière des œuvres, de les questionner avec ce patrimoine, entre création et conservation.

Le livre-catalogue est constitué d’écrits ou d’entretiens d’artistes qui permettent de revenir sur l’élaboration des œuvres, de leur conception jusqu’à leur présentation au milieu d’objets du patrimoine. Ces écrits constituent un outil d’analyse des postures artistiques. Ils explicitent comment l’œuvre entre en rapport avec les « fantômes du passé », comment l’œuvre engage notre regard sur le lieu ou sur une collection, ce qu’apporte la création contemporaine aux événements ou objets du passé et en retour comment le passé questionne le présent.

Ici, ce sont plus particulièrement les propos d’Esclarmonde Monteil, conservatrice du musée, expliquant le procédé de la Toile de Jouy qui résonne avec cette exposition d’œuvres : « il ne s’agit pas […] d’appliquer une couleur sur un support [mais d’utiliser] des colorants solubles dans l’eau [même si certaines] couleurs, en général de petits détails, sont appliquées au pinceau »,

Notes

[1Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, tome I : Prospectus aux amateurs de tout genre, Paris Gallimard, (1967), 1986, p. 71.

Mots-clés

art contemporain peinture teindre

Documents

Pour citer cet article

« Peindre n’est (- ce) pas teindre ? Musée de la Toile de Jouy, 2 février - 29 juillet 2016 ». Pratiques picturales, 10 février 2016.

https://pratiques-picturales.net/article12.html