Allumer / Éteindre : la peinture confrontée au numérique

Numéro 04/2017

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Allumer / éteindre : la peinture confrontée au numérique

Il est peu de dire que le numérique est partout présent dans la vie quotidienne. La pratique de la peinture semble encore peu concernée, à moins que la discrétion des peintres à ce sujet ne fasse écran à une évolution plus engagée qu’il n’y paraît. Certains revendiquent clairement l’usage de l’outil numérique, comme Gerhard Richter dans sa série Strips (2011) avec lequel il réinterprète ses abstractions. On citera également Albert Oehlen et ses Computer paintings ou David Hockney et ses peintures sur tablette. La présence de quelques noms de la scène internationale associés à l’émergence de ces nouvelles pratiques en a favorisé la visibilité, mais il est difficile de mesurer l’étendue de leur usage dans les ateliers. Une ligne de démarcation se dessine-t-elle entre les artistes qui les exploitent et ceux qui s’y refusent ? Ou, plus justement, comment cet usage se dissémine ou est privilégié dans la pratique picturale, soit comme une simple aide ponctuelle à la création, soit en prenant le parti du tout numérique ?

Quels que soient les choix faits par les artistes vis-à-vis de l’outil numérique, et comme le soulignait déjà Hubert Damisch à propos de Simon Hantaï et de François Rouan, l’exposition, si ce n’est la soumission, de la peinture à d’autres techniques et à d’autres pratiques, a des implications et des répercussions encore difficiles à mesurer : « Il se pourrait en effet que le temps soit venu pour la peinture d’emprunter, ne fut-ce que marginalement, et par une manière de passage à la limite, des voies en apparence étrangères à ce qui serait son domaine propre : le problème étant alors de savoir ce qu’elle peut avoir à gagner à cet emprunt, ou de quel prix elle peut être appelée, à l’inverse, à payer le renoncement à ce qui semblait être, en termes modernistes, sa spécificité » [1].

Il s’agit donc de s’interroger aussi bien sur les possibilités nouvelles qu’ouvre l’usage des outils numériques dans la conception des œuvres et leur réception, que sur les modifications, souvent perçues comme des abandons, qu’ils engendrent dans la pratique. Sans omettre, ce reste que serait la peinture, ou qui revendiquerait envers et contre tout le statut de peinture. De la dématérialisation du tableau, ou sa substitution en fichier informatique destiné à être projeté, à la disparition de tout indice matériel comme de toute trace gestuelle, qu’en est-il de ce reste ? Ou comment l’outil numérique, en dissolvant la linéarité du processus traditionnel de la peinture, tend-il à rendre imperceptible ou même absente l’expression pulsionnelle et la confrontation de l’artiste avec le matériau, bousculant ainsi ce qui a été depuis longtemps perçu comme le signe de la peinture et la signature du peintre ? D’un autre côté, comment le mixage de techniques hétérogènes construit-il la peinture par divers débordements brouillant la notion d’unicité, amplifiant celles de plan et de délimitation de la peinture et modifiant notre rapport à l’espace et aux lieux ?

Enfin, les usages différenciés des procédures numériques induisent des pratiques collaboratives avec d’autres pratiques artistiques ainsi que des temporalités nouvelles dans la réception de la peinture : sont–elles une réponse aux reproches trop souvent faits à la peinture de soumettre le spectateur à une présence autoritaire et l’indice d’une possible interactivité de la peinture ? Il s’agit là encore d’en mesurer les effets et d’interroger comment l’outil numérique se combine à la peinture pour « faire tableau » ?

Notes

[1Hubert Damisch, « La peinture en mal d’explic(it)ation. Simon Hantaï et François Rouan » (2005), dans La ruse du tableau. La peinture ou ce qu’il en reste, Paris, Éditions du Seuil, 2016, p. 198.

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